Introduction et généralités
La Suisse ayant la particularité d'être une confédération d'états dont chacun a une histoire propre,
on ne peut donc pas parler de "noblesse suisse" au singulier mais de "noblesses suisses" au pluriel. Rappelons également que
la notion de noblesse ou de classe noble postule l'existence d'une société hiérarchisée reconnaissant le principe de l'hérédité
de la fonction, du rang social.
Au Moyen-Age nous ne trouvons dans les différents cantons
suisses que des familles de noblesse féodale puis également quelques familles anoblies à l'étranger. On trouvait à travers
la Suisse un grand nombre de familles de dynastes qui étaient des vassaux du Saint Empire, de la maison de Savoie ou du Royaume
de Bourgogne. Cette diversité empêcha la naissance d'un état doté d'un pouvoir central monarchique.
En Suisse dès le XIVe siècle on peut distinguer, hormis les cas particuliers, trois modes de noblesse:
1°) |
la noblesse acquise en vertu du droit familial, c'est-à-dire par filiation, masculine et légitime dès le XVIe siècle. |
2°) |
la noblesse résultant d'une concession ou d'une reconnaissance du souverain, lequel peut être un monarque
ou un souverain collectif. Cette concession peut-être individuelle, familiale ou collective. Le souverain
peut aussi reconnaître un anoblissement concédé à l'un de ses sujets par un souverain étranger. Parallèlement il existe aussi
des anoblissements "récompenses" n'octroyant que la jouissance d'un titre. |
3°) |
la noblesse acquise par intégration [Par exemple: Affry au XVe siècle, Reyff (1577) Pontherose (1443), de Vevey
(1523), Vandel (1526), Hugues (1544)]. Cette intégration résulte souvent d'une ascension sociale et d'une ou plusieurs alliances
avec des familles appartenant déjà à la noblesse. Elle est parfois accompagnée de l'acquisition d'un fief noble (La seigneurie
de Mézières est acquise en 1547 par Jost Freitag qui dès lors se qualifie de noble). |
La perte de la noblesse n'existait quasiment pas en Suisse où les classes sociales étaient plus
proches que dans d'autres pays. Juridiquement il n'y a ni mésalliance ni dérogeance liée au travail manuel ou au commerce.
Ainsi noble Jean Gambach était en 1442 fabricant de faux, et noble Louis de Daguet était charretier à la fin du XVIIIe siècle.
Les seuls cas de perte de noblesse sont donc soit la bâtardise soit la renonciation volontaire. Ce dernier cas se rencontrait
à Fribourg afin de pouvoir accéder à la charge de banneret; ce fut notamment le cas pour certaines branches des familles Fégely,
Gottrau, Reynold, et Reyff.
Chaque Etat possédait sa propre constitution, sa monnaie, sa juridiction, ses us et coutumes, son histoire
et donc sa propre noblesse. Il est donc nécessaire pour comprendre les noblesses suisses de préciser quelques particularités
nobiliaires de chaque canton.
Berne, Fribourg, Soleure et Lucerne
A partir du XVe siècle on assiste à un accroissement du pouvoir des villes et de leurs bourgeois et
à l'intégration de la noblesse féodale à la bourgeoisie des villes. Dans certains cantons, comme Berne, Fribourg, Soleure
et Lucerne, le pouvoir politique appartient dès lors à une classe dirigeante formée des anciennes familles nobles
et de nouvelles familles issues de la bourgeoisie de la capitale cantonale. Ces familles non nobles et les anciennes familles
nobles possèdent le pouvoir avec un droit héréditaire aux charges gouvernementales. Cet état de fait s'est réalisé progressivement
et aboutit vers 1600 à la constitution d'une classe privilégiée. En 1627 à Fribourg, cette classe, le patriciat, est
officialisée par la lettre dite "des Deux-Cents". Elle est alors constitutionnellement composée de familles éligibles aux
Conseils Souverains. A Fribourg on ferma l'entrée du patriciat dès 1684 pour ne l'entrouvrir qu'à la fin du XVIIIe siècle.
Le Souverain de chacun de ces Etats n'est pas un Roi mais un Conseil et les sujets de chacune de ses
républiques ont donc un seul souverain, lequel est collectif. Ces patriciats se renouvelaient par cooptation et certaines
de ses familles furent anoblies à l'étranger.
Certains de ces souverains collectifs octroyèrent des anoblissements: En 1547 Berne érigea la seigneurie
de La Batie-Beauregard en baronnie en faveur de Jacques Champion; En 1665 Soleure octroya des lettres de noblesse aux frères
Marcacci de Locarno; En 1712 Berne érigea la seigneurie de Bercher en baronnie en faveur de Jean-Louis de Saussure.
A Fribourg, à la fin du XVIIIe siècle, le privilège d'éligibilité aux charges gouvernementales restait
l'apanage exclusif des patriciens. En 1781 ce patriciat comptait quatre catégories de familles: 1°) les familles
nobles titrées (Affry, Alt, Diesbach, Maillardoz, Castella de Berlens); 2°) les familles nobles non titrées (Boccard, Fégely
de Vivy, Fivaz, Gléresse, Griset de Forel, Lenzbourg, Maillard, Praroman, du Prel, Reyff de Cugy, Reynold); 3°) les familles
patriciennes d'origine noble, mais dont la noblesse n'est pas ou plus prise en considération (Fégely de Prez par exemple);
et 4°) les familles patriciennes sans origine noble (Buman, Castella, Reynold, Weck, Wild). En application de la constitution
de 1404 les membres des deux premières catégories de familles sont exclus des charges de banneret et de secret sauf
s'ils renoncent à leur noblesse. Parallèlement on trouve dans le canton quelques familles non patriciennes anoblies à l'étranger
et dont la noblesse n'est pas reconnue par Fribourg (Besson, Chassot, Gapany et Tercier). La seule famille fribourgeoise
subsistante de noblesse féodale est la maison de La Roche devenue Schenewey qui perdit son appartenance à la noblesse dès
le XVIe siècle.
En 1782, le souverain fribourgeois décida d'uniformiser la situation de ces familles. Il supprima les
titres autre que "noble", autorisa tous les patriciens à faire précéder leur nom de la particule "de", et précisa que désormais
les charges de bannerets, secrets et grand-sautier seraient ouvertes à tous les patriciens. En confirmant ainsi que toutes
les familles patriciennes étaient nobles soient d'origine soit par appartenance à la classe privilégiée, ce "Règlement relativement
à l'introduction de l'égalité des familles patriciennes et de leurs titulatures" des 17 et 18 juillet 1782 n'est donc pas
un anoblissement collectif mais la confirmation officielle d'un état de fait.
A Berne, une loi constitutionnelle créa en 1643 la classe privilégiée des familles éligibles au Grand
Conseil. Dès 1731 on interdit l'usage des titres de noblesse conférés par des souverains étrangers. Dès 1761 les patriciens
furent autorisés à se faire appeler "wohledelgeboren", puis dès le 9 avril 1783, à faire précéder leur nom de la particule
"von".
A Lucerne, dès la fin du XVIIe siècle, les patriciens eurent droit au titre de "Junker" et firent régulièrement
valoir leur noblesse à l'extérieur, notamment aux services étrangers. Certaines familles obtinrent également des lettres de
noblesse à l'étranger.
A Soleure, le patriciat se forma progressivement de fait. Certaines familles noyautèrent les corporations
de manière à contrôler la cooptation. C'est ainsi que le pouvoir passa à un certain nombre de familles privilégiées qui formèrent
alors une noblesse patricienne dont les membres furent qualifiés "Herren und Bürger". Nombre de ces familles reçurent à l'étranger
des diplômes de noblesse, notamment de la France.
Uri, Schwyz et Unterwald
Dans les cantons d'Uri, Schwyz et Unterwald, l'évolution politique du Moyen-Age au XIXe siècle se fit
de manière relativement semblable mais n'aboutit pas réellement à la constitution d'un patriciat mais plutôt à la formation
d'une classe relativement fermée de nouvelles familles partageant le pouvoir avec les anciennes familles nobles. Certaines
nouvelles familles furent anoblies à l'étranger tandis que d'autres s'agrégèrent à la Noblesse en formant la "noblesse d'intégration".
Le canton de Schwyz compta plusieurs familles de ministériaux telles les Reding.
Zurich
En 1400, la ville de Zürich devint
formellement autonome à l'égard du Saint Empire. Jusqu'à cette date les seules familles nobles étaient des familles de ministériaux.
Rapidement le pouvoir passa aux corporations tout en donnant une position dominante à la corporation noble des "Constaffel"
au sein de laquelle s'était constituée une chambre noble "adelige Stube zum Rüden" aussi appelée "Stübli". Les familles
membres des Corporations l’étaient principalement par hérédité.
Les membres de la Stübli portaient le titre de "Junker". En 1798, la Stübli ne comptait
plus que onze familles. La famille Bonstetten, seule famille subsistante de la haute noblesse zurichoise, était devenue bernoise
dès 1463. Certaines familles reçurent des titres étrangers tels les Hirzel, comte de Saint-Gratien en France en 1788.
Schaffhouse et Zoug
Dans les cantons de Schaffhouse et Zoug, le pouvoir appartint aux corporations. Il n'y eut donc pas
de privilège héréditaire face aux charges gouvernementales.
Dans le canton de Zoug les quelques familles qui avaient reçu des lettres de noblesse à l'étranger
sont éteintes. Le système très démocratique de ce canton ne permit pas à la noblesse de s'y développer.
Dans le canton de Schaffhouse les familles nobles formèrent dès le XIIIe siècle la "Herrenstube" qui
devint au XVe siècle une des douze corporations. Quelques anciennes familles s'éteignirent et furent remplacées au sein de
la "Herrenstube" par de nouvelles familles de "noblesse d'intégration". En 1864, ces familles furent maintenues dans leur
droit à être inhumées dans le "Junkernfriedhof".
Valais, Thurgovie et Tessin
Dans les cantons actuels du Valais, de Thurgovie et du Tessin, les anciennes familles nobles se maintinrent
et seules quelques familles furent anoblies à l'étranger.
Le patriciat valaisan qui fournit notamment les princes-évêques, était formé de familles d'ancienne
noblesse mais aussi
de quelques familles agrégées à la Noblesse soit par possession d'un droit de juridiction soit par
appartenance à la "noblesse d'intégration". Certaines de ces familles reçurent également des lettres de noblesse à l'étranger.
Ce patriciat n'était pas un patriciat de droit mais de fait.
Le Tessin, avant de devenir canton suisse en 1803, ne formait pas une unité politique et administrative
et il n’y a donc pas de noblesse tessinoise au sens strict, toutefois il existe un certain nombre de familles nobles
originaires de cette région. A Locarno, lors de la Réforme, deux des trois grandes familles féodales de capitanei: les Muralto
et les Orelli émigrèrent à Zurich. Une branche des Muralt se fixa à Berne. La troisième grande famille, les Magoria, demeura
à Locarno. La plupart des familles tessinoises anoblies à l'étranger l'ont été par les ducs de Milan.
Grisons
Les Grisons comptent un grand nombre
de familles de dynastes et ministériaux. les dynastes possédaient en général dès le XIe ou XIIe siècle des seigneuries sur
lesquels ils détenaient plus un pouvoir de fait qu'un pouvoir résultant d'une règle constitutionnelle. Ces familles maintinrent
leurs privilèges jusqu'au XVe siècle et certaines familles conservèrent une situation importante, notamment les Salis et les
Planta, tandis que quelques autres furent anoblies à l'étranger.
En 1794, les Ligues Grises décrétèrent la suppression radicale de la noblesse, des
titres et des particules. Cette interdiction fut confirmée en 1803 et 1848.
Glaris et Appenzell
Ces cantons n'eurent jamais de noblesse de droit. A Glaris on trouve cependant quelques familles anoblies
à l'étranger.
Dans ces cantons les familles issues des « chefs d’état » et des baillis formèrent de fait
une classe de « noblesse d’intégration ».
Argovie
L'actuel canton d'Argovie ne vit le jour qu'en 1803. Ce territoire, où se trouve le château de Habsbourg,
resta sous la domination autrichienne jusqu'en 1415, date à laquelle il fut conquis par Berne et Zurich qui se le partagèrent.
Les anciennes familles nobles argoviennes se sont maintenues dans d'autres cantons, tels les Mülinen et Hallwyl à Berne, ou
à l'étranger tels les Reinach en Alsace.
Vaud
Le canton de Vaud, ancien comté puis Pays
de Vaud, dépendit successivement de la Bourgogne, des Zähringen, des Savoie jusqu'en 1536, puis de Berne. On trouve donc dans
ce canton des familles de noblesse féodale, des familles de noblesse savoyarde, des familles de noblesse patricienne bernoise,
et enfin des familles de "noblesse d'intégration".
Neuchâtel
Dans le canton de Neuchâtel, principauté dès 1643, la noblesse s'accroissait par anoblissement du prince
et sous la réserve que ces lettres soient entérinées par le Conseil d'Etat. Neuchâtel devint canton suisse en 1815 et demeura
paradoxalement une principauté prussienne jusqu'en 1848.
Genève
A partir de la Réforme la République de Genève ne reconnaissait officiellement pas
la noblesse en tant que corps constitué. On trouve donc des familles de noblesse ancienne, des familles de noblesse d'intégration
(notamment les familles issues des membres du Petit Conseil), des familles anoblies à l'étranger, et un grand nombre de familles
nobles réfugiées dès la Réforme.
Toutefois, il faut noter que, contrairement aux idées reçues, la République de Genève
fit usage de son pouvoir d'anoblir. C'est notamment ce qu'elle fit le 20 août 1680 en anoblissant avec titre de comte
la famille Noblet.
Bâle
En 1382 la constitution réservait quatre sièges du conseil pour les familles nobles. Dès le siècle suivant
les corporations et donc les bourgeois prirent le dessus. Les familles nobles de l'époque préférèrent quitter Bâle qui eut
dès lors un système corporatif. La noblesse fut ensuite interdite à Bâle. Une exception fut faite pour les barons Wieland
en 1816 à condition qu'ils ne fassent pas usage de leur titre à Bâle. On trouve cependant quelques familles nobles dont la
noblesse et les titres sont antérieurs à leur réception dans la bourgeoisie.
Saint-Gall
A Saint-Gall, quelques familles puissantes formèrent une sorte de patriciat dont les membres faisaient
partie de la "adelige Stube zum Notenstein". Certains de ce familles confortèrent leur position en obtenant des lettres de
noblesse à l'étranger. En 1778 le Conseil Souverain fixa la liste des sept familles du Notenstein qui constituaient de fait
la noblesse de Saint-Gall. Certaines familles qui ne faisaient pas partie du Notenstein reçurent des diplômes de noblesse
à l'étranger.
Situation actuelle
Depuis 1798, la noblesse n'existe plus en tant que classe privilégiée mais simplement sur le plan historique.
Toutefois, il y eut une restauration aristocratique à Lucerne, Berne et Fribourg, de 1814 à 1831.
Actuellement, on compte environ 450 familles nobles subsistantes en Suisse, issues soit de l'une des
noblesses suisses soit d'une noblesse étrangère. En comptant 15 personnes par famille on obtient une proportion de 1,06 °/oo
de la population, ce qui équivaut à peu près à la densité nobiliaire française. Toutefois, il faut noter l'inégalité
cantonale de cette densité, le canton d'Appenzell n'ayant quasiment pas de famille noble tandis que le canton de Vaud en compte
plus de cent.
De nos jours, la noblesse n'ayant plus d'existence légale en Suisse, les titres de noblesse ne figurent
ni à l'état civil ni dans les actes officiels. Ils sont parfois tolérés dans certains documents administratifs et dans la
vie professionnelle. Leur usage est donc limité aux relations de société.